MAUVAISE VERSION NE PAS UTILISER « Il ne faut pas attendre d'être au bord du gouffre pour sauver une entreprise »

Arrivé à la tête de Vallourec il y a un an, Philippe Guillemot a mis en oeuvre le plan de redressement du spécialiste des tubes sans soudure. Habitué des missions difficiles, il croit encore en un avenir industriel pour la France. Si l'on crée les conditions adéquates…
Publié le: 2023-09-15 04:35:10
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, Vous avez un profil de redresseur d'entreprises en difficulté. Quelle est votre recette quand vous arrivez dans ce type de situation ? D'abord, il faut avoir envie de relever un défi. C'était le cas pour Michelin au milieu des années 1990, où toute l'organisation du groupe a été remise à plat, pour Areva T&D en 2004, ou Alcatel-Lucent en 2013. La première chose à faire, c'est d'établir un diagnostic. Avec l'expérience, on le fait de manière plus efficace. Puis il faut partager rapidement ce diagnostic avec les équipes car on ne fait rien seul. Il faut analyser les forces de l'entreprise et prendre rapidement les décisions qui n'ont pas été prises, même si elles sont douloureuses. , j'ai immédiatement compris qu'une base industrielle forte en Europe, là où il n'y a quasiment plus de marché du pétrole et gaz avec une des structures de coûts les plus chères au monde, n'avait plus de sens. Il fallait le courage de dire « on ferme », et dans le même temps remobiliser très vite toutes les forces de l'entreprise. Une entreprise est-elle prête à accepter une décision douloureuse ? Souvent, on ne le fait que lorsque l'on est au bord du gouffre. C'est cela qui oblige à prendre des décisions particulièrement douloureuses qui peuvent générer de l'incompréhension et du ressentiment. Ne rien faire est criminel. Avec une bonne gouvernance, la plupart des entreprises en crise pourraient ne pas avoir à attendre la dernière minute et prendre des décisions par anticipation. En combien de temps peut-on inverser une situation ? Chez Vallourec nous sommes passés tout près de la faillite et nous avons dû mener une lourde restructuration financière. Il a fallu ensuite prendre des premières décisions et les mettre en oeuvre rapidement. C'est comme cela que l'on donne le ton. Il y a ceux qui se mobilisent et adhèrent au projet et les autres, qui quittent en général d'eux-mêmes l'entreprise. La vitesse est la clé du redressement. Je le dis aux équipes quand j'arrive : « Ce que vous aviez l'habitude de faire en années, on va le faire en mois. Ce que vous faisiez en mois, on le fera en semaines, etc. » Il faut créer un sentiment d'urgence. Le pire dans une entreprise, c'est quand elle coule et que personne ne s'en aperçoit. Ce n'est donc pas qu'une affaire de restructuration financière ? Une restructuration financière n'a jamais rien accompli au niveau opérationnel. Cela donne juste un peu plus de temps pour faire ce que l'on a besoin de faire : créer les conditions pour retrouver des marges de manoeuvre financières. D'où l'objectif que j'ai fixé pour Vallourec : un désendettement total, afin d'avoir autant de liquidités que de lignes de financement à l'horizon fin 2025. C'est un gage de pérennité, de capacité à absorber les futurs cycles de l'industrie, voire de futures crises. Il faut tout faire pour éviter d'être fragile lors d'un prochain retournement de cycle. Le déclin industriel de la France était-il inéluctable ou est-ce le fruit de mauvaises décisions ? Je suis ingénieur de formation, j'ai démarré ma carrière par choix dans l'industrie, j'ai eu l'occasion de travailler à l'international… C'est vrai que mes enfants, eux-mêmes ingénieurs, ont moins de débouchés dans l'industrie que moi quand je suis sorti de l'Ecole des Mines. C'est navrant. D'abord, il y a eu un désintérêt. On a pensé que notre économie se réinventerait en allant vers les services. L'industrie, les usines, cela peut être des environnements hostiles. D'où l'importance de les faire découvrir très tôt aux jeunes, hommes comme femmes. La France a enfin pris le chemin de l'apprentissage, on va bientôt passer le cap du million d'apprentis, mais on a perdu des dizaines d'années. L'industrie est très formatrice, on peut y mener des projets passionnants. La donne est-elle en train de changer ? En quarante ans d'industrie, j'ai connu l'époque où l'on cherchait d'abord à optimiser ses coûts. J'ai eu l'occasion de créer la première usine « low cost » de Valeo en Europe centrale. C'était au début des années 2000, ce n'est pas si vieux… Notre système de protection sociale, en France et en Europe, n'a pas d'équivalent dans le reste du monde. C'est un acquis mais il a un coût qui a pu peser dans le recul de l'industrie. Aujourd'hui la donne a changé : on découvre qu'acheminer des produits à travers le monde, ce n'est pas si simple et cela a aussi un coût. La réindustrialisation est donc possible ? Imaginer qu'on va réindustrialiser l'Europe pour en faire une base d'export, à de rares exceptions, est un combat perdu. Le coût de l'énergie nous handicape et risque de rester plus élevé que dans d'autres régions du monde. Lorsque l'on crée une nouvelle unité de production, la première question que l'on se pose c'est de savoir si on a un marché domestique à côté. Me demander de faire des tubes sans soudure pour le marché du pétrole et du gaz en Europe, cela n'a aucun sens. Il n'y a pas de marché domestique. En revanche, nous sommes des métallurgistes de pointe, nous maîtrisons une technologie qui a fait la fortune de l'entreprise, il y a peut-être des applications pour des marchés domestiques en Europe. C'est pour cela qu'on a annoncé la création en France d'une unité de robots pour faire de l'impression 3D pour des marchés locaux, comme avec Naval Group. Et nous avons là un fort facteur de différenciation, très difficile à reproduire. Cela n'est possible que parce que nous avons dans le nord de la France un centre de recherche et développement, qui est un concentré d'expertise en matière de métallurgie de pointe, unique au monde. Faudra-t-il une dose de protectionnisme plus forte ? En France, nous avons un outil formidable, le Crédit d'impôt recherche, qui permet d'investir dans des projets, malgré des coûts plus importants qu'ailleurs. Mais il faut en parallèle créer les conditions d'une réindustrialisation comme le font les Américains, les Chinois ou les Brésiliens. L'Europe ouverte à tous les vents et qui se veut à la pointe de la décarbonation de l'industrie, cela conduit à un jeu déséquilibré. Si vous ne protégez pas un minimum une industrie naissante, vous compromettez sa capacité à monter en puissance. On l'a vu avec les panneaux solaires. Cela passe par une politique de soutien plus forte en Europe, à l'image de l'IRA aux Etats-Unis ? Si je peux être un peu caricatural, on a une approche punitive en Europe sur un certain nombre de sujets, quand les Etats-Unis ont une approche incitative. Sur la décarbonation par exemple, en Europe on vous parle de taxes, quand aux Etats-Unis on vous parle de subventions, qui par ailleurs vont alimenter la recherche et développement sur les nouvelles énergies, ce qui risque de créer un différentiel de compétitivité. La première chose qu'un industriel cherche, ce ne sont pas des subventions, c'est de faire son métier et de ne pas être empêché. L'image des fonds n'est pas toujours très positive en France. Quel rôle peuvent-ils jouer dans la réindustrialisation de l'Europe ? Dans le cas de Vallourec, si les fonds Apollo et SVP n'avaient pas été aussi actifs dans la restructuration financière du groupe, nous aurions disparu. Ils ont pris un risque qui, aujourd'hui, s'avère gagnant car l'entreprise se redresse. Les fonds ne sont jamais là très longtemps, on crée une parenthèse dans la vie de l'entreprise avec un soutien financier fort et une gouvernance qui permet de prendre des décisions rapidement. C'est souvent un gage d'efficacité. Mais je parle là des fonds qui ont un vrai intérêt pour l'entreprise, qui ne considèrent pas que c'est juste un moyen de gagner de l'argent sans efforts. Aujourd'hui, le coût du capital augmente, on va revenir aux fondamentaux : seuls les fonds qui ont un vrai projet pour l'entreprise peuvent créer de la valeur et avoir un retour sur investissement. L'inflation vous inquiète ? Il faut être vigilant, adapter ses prix pour ne pas être victime d'effets de ciseaux et voir ses marges détruites. Ces périodes sont souvent l'occasion de recréer ses marges, c'est une bonne raison pour rediscuter avec les clients de la valeur qu'on leur apporte et de la nécessité d'ajuster les prix. D'ailleurs, la période que l'on vit s'est plutôt traduite par une reconstitution des marges des entreprises. Certes, les salaires augmentent mais, pour l'instant, je n'observe pas de spirale. Les banques centrales réagissent et continuent d'augmenter les taux d'intérêt. La question est maintenant de savoir à quel moment la demande va faiblir pour que l'inflation s'arrête. Vous avez aussi travaillé dans le monde des services, chez Elior. Est-ce que les règles y sont très différentes de l'industrie ? Ce sont deux univers complètement différents. Même dans des industries qui ont beaucoup d'usines, vous les connaissez toutes. Dans les services, les organisations sont beaucoup plus atomisées. Chez Elior, on avait 23.500 restaurants, Vallourec a 20 usines. Quand vous voulez infléchir une trajectoire, vous avez 23.500 sites qui doivent opérer différemment. C'est un défi bien plus grand. Les services, c'est avant tout la relation avec le client : le client est-il prêt à payer l'innovation ? C'est souvent plus compliqué d'y faire valoir la notion de technologie, de différenciation et donc de faire appliquer les prix qui conviennent. Quel regard portez-vous sur la capacité de la France à se réformer ? Je suis de nature optimiste, j'ai connu des situations qui paraissaient désespérées. Tout est question de pédagogie. C'est comme dans une entreprise, il faut prendre le temps d'expliquer les changements. Le choc de la crise énergétique est-il, selon vous, derrière nous ? La guerre en Ukraine nous a rappelé que l'énergie est importante et qu'elle doit avoir trois caractéristiques : elle doit être disponible, abordable et de plus en plus décarbonée. Il faut se rappeler qu'on a mis vingt ans à s'adapter au premier choc pétrolier de 1973. C'est le temps que cela a pris pour faire baisser la consommation des moteurs thermiques des voitures et mettre en oeuvre le plan nucléaire français. Pourquoi serait-ce différent cette fois ? On est dans le temps long. C'est un mouvement qui a commencé. Cela va se traduire par la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France, l'électrification du parc automobile en Europe et sans doute aux Etats-Unis. Mais c'est une transition. Les énergies fossiles vont rester indispensables, les 100 millions de barils de pétrole quotidiens vont continuer à être nécessaires pour faire tourner l'économie. On va se heurter en permanence à des limites. L'hydrogène vert suppose une production d'électricité très conséquente. Pour électrifier tout le parc automobile, il faudra doubler la production d'électricité en France. Le parcours sera difficile et l'énergie va coûter cher, peut-être de plus en plus cher. Ce coût va créer des problèmes, pour les entreprises, les citoyens… Quand vous êtes un industriel, vous cherchez une énergie disponible, et abordable. Le pire c'est le manque de visibilité, qui tue de nombreux projets. La part de l'énergie dans le coût de revient de notre forge dans le nord de la France, par exemple, est passée de 7 % à 30 % au plus haut avec la guerre en Ukraine. Les progrès de la technologie donnent toutefois de l'espoir : il y a vingt ans, qui aurait imaginé que l'énergie solaire serait aujourd'hui la moins chère ? Qu'est-ce qui vous rend confiant pour Vallourec ? D'abord, nous avons renoué avec la génération de cash. Ce n'était plus arrivé depuis presque dix ans, c'était ma priorité. Et je peux compter sur la qualité des équipes et la vitesse avec laquelle nos projets sont mis en oeuvre. Nous sommes au début d'une très belle aventure industrielle. L'an dernier, à peine arrivé à la tête de Vallourec, Philippe Guillemot met en oeuvre le plan « New Vallourec ». Il poursuit la restructuration de la société, la cession des activités en Allemagne et recentre le groupe sur trois géographies : la France, le Brésil et les Etats-Unis. Un plan qui commence à porter ses fruits : Vallourec a de nouveau généré du cash au deuxième semestre 2022 puis au premier trimestre de cette année. Diplômé de l'Ecole des Mines et titulaire d'un MBA de la Business Harvard School, Philippe Guillemot a commencé sa carrière chez Michelin. Après un passage chez Valeo puis Faurecia, il est nommé PDG d'Areva Transmission & Distribution en 2004. En 2010, il rejoint Europcar puis devient directeur des opérations et des ventes d'Alcatel-Lucent. En 2017, il est nommé directeur général d'Elior Group puis est appelé au chevet de Vallourec l'an dernier. David Barroux et Nicolas Rauline
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